L’IA dans l’Education

IA dans l'éducationL’IA dans l’éducation : Pourquoi ? Quelles conséquences ?

Pascale Hamon, Professeure des écoles.

 

En complément du Dossier Infos n° 3 : « L’Intelligence Artificielle, qu’en penser ? »

« L’idée de laisser des machines éduquer nos enfants et de leur enseigner des connaissances, même inventées ou biaisées, soulève des questions cruciales sur la transmission du savoir, la créativité et la pensée critique. Si des IA peuvent être formées pour enseigner, qui garantit que ces machines transmettent des informations vérifiées, pertinentes et équilibrées ? Ces systèmes automatisés, sans supervision humaine constante, peuvent véhiculer des idées erronées ou biaisées. ChatGPT est une prothèse de langage. Les enfants et les étudiants l’utilisent largement sans en comprendre véritablement le fonctionnement et les concepts d’apprentissage sous-jacents. Ils ne se demandent pas si l’IA a répondu correctement ou non, peu importe finalement, tant leur que le devoir est fait ! Par paresse, c’est la société tout entière qui va doucement glisser dans la torpeur intellectuelle. »

Ce passage, extrait de l’introduction du dernier ouvrage de Laurence Devillers, « L’I A, Ange ou Démon ? Le nouveau monde de l’invisible » (voir plus loin), donne parfaitement le ton. Page 13 du dossier.

IA et enseignement : « Stop ou encore ? »

Nos systèmes scolaires européens sont globalement face à un constat de délitement et d’échec. De plus en plus d’élèves « décrochent », les problèmes de nos sociétés consuméristes et matérialistes ont envahi nos écoles. Bref, l’institution a échoué dans sa mission initiale d’instruire. Des générations de professeurs et de jeunes ont été entrainés dans un tourbillon infernal de réformes successives ces 40 dernières années. C’est dans ce lamentable contexte qu’arrive l’IA… Les systèmes éducatifs ne peuvent pas faire l’impasse sur l’IA, car elle est déjà entrée dans la sphère privée de beaucoup de jeunes, tout comme dans la sphère publique. Elle va concerner autant les élèves et les étudiants, que leurs professeurs.

Pourquoi inclure l’IA dans l’éducation et l’enseignement ? Quels seront sa place et son rôle dans les apprentissages ? Comment définir le cadre de son usage ? Comment anticiper et évaluer les conséquences de son impact dans la construction des savoirs et la construction de la pensée des enfants et des jeunes ?

La question fondamentale que nul ne semble vouloir poser : Pourquoi intégrer l’Intelligence Artificielle dans les apprentissages ?

Sans prétendre y apporter de réponse, cet article a pour objet d’aller un peu plus loin dans l’exploration de cette thématique en apportant différents éclairages, afin de permettre aux lecteurs de se forger leur propre avis et de se mettre eux-mêmes en quête de vérité sur le sujet.

Des professeurs s’y attèlent aussi et tentent d’élaborer des outils et des pistes pour accompagner ce changement de paradigme qui semble être inéluctable.

Alors que le recours par les élèves à ChatGPT et ses équivalents est déjà massif, l’éducation nationale commence à développer ses propres outils et à former son personnel à cette révolution dans les méthodes d’apprentissage.

https://www.youtube.com/watch?v=W4JtvczIpXs (Vidéo de 12:06)

Des enseignants-chercheurs dans le domaine de l’IA, apportent leur contribution au débat actuel. Laurence Devillers, professeure en IA à la Sorbonne Université et membre du Comité national pilote d’éthique numérique jusqu’en 2024, chercheuse au CNRS, est très engagée sur cette thématique. Elle intervient souvent sur les médias pour inviter à la plus grande prudence quant à l’introduction de l’IA dans l’enseignement. Elle appelle à une réflexion préalable et surtout à une meilleure connaissance de l’IA elle-même, de la part des enseignants, tout comme des enfants et des jeunes, afin d’en éviter les pièges. Page 51 du dossier.

https://www.youtube.com/watch?v=otQyrfQyZRs (Vidéo de 43 :03)

Etienne Klein, physicien et philosophe des sciences français, aborde le sujet de l’intelligence face à des élèves de 1ère dans d’une conférence lors de laquelle il les amène avec beaucoup de pédagogie à comprendre pourquoi il est essentiel qu’ils apprennent les lois de la physique afin de construire et d’ancrer leur savoir sur lequel ils pourront s’appuyer pour concevoir et élaborer de nouvelles hypothèses inédites dans le futur, ce qu’aucune IA ne saura jamais faire !

https://www.youtube.com/watch?v=xMW2_X_qqN0&t=716s (Vidéo durée 59:09)

L’IA, un outil comme un autre ?

Soyons lucides, les pièges sont de taille ! Il faut faire preuve de beaucoup de discernement, voire de sagesse, pour introduire cet outil dans les apprentissages sans que s’installe une forme de fascination vis-à-vis de cette IA qui pourrait donner à croire aux jeunes qu’elle va penser à leur place et même les surpasser… Malheureusement, l’homme se compare toujours à sa création, à son désavantage le plus souvent. Cela tend donc à prouver qu’il faut absolument en tenir éloignés les plus jeunes qui n’ont pas construit leurs apprentissages premiers et qui ont surtout besoin d’un modèle humain de référence. L’entrée du modèle d’intelligence artificiel ne doit pas interférer dans ce processus délicat et fondamental de leur propre construction en lien avec leur rapport à la connaissance. Leur imaginaire, si fertile dans l’enfance, doit être protégé des interactions avec toute forme imposée de l’extérieur et à fortiori avec les écrans, fussent-ils « intelligents » ! Il est bon de garder présent à l’esprit que « Intelligence artificielle » est un oxymore…

Les professeurs vont-ils recevoir une solide formation incluant, outre le volet pédagogique, le volet plus technique, leur donnant une idée claire et précise de la nature de ce nouvel outil ? Vont-ils pouvoir prendre le temps de bien le connaître et d’en maîtriser le fonctionnement ? Sont-ils bien au fait des problèmes de véracité des sources et des manipulations à identifier (biais, idéologies, etc.) ? On peut en douter, d’autant qu’on nous présente l’IA comme « la » solution aux problèmes et aux  défaillances du système éducatif. À en croire certains grands naïfs, l’IA devrait être l’assistant idéal de tout enseignant et le tuteur parfait pour l’élève, afin de l’accompagner dans ses apprentissages et son acquisition du savoir. Dit comme cela, on a envie d’applaudir, mais il serait tout de même opportun de définir au préalable quelle doit être l’éthique de l’utilisation qu’on en fait ; d’être en mesure aussi de définir l’âge à partir duquel l’introduction de l’IA est possible, sans nuire au développement harmonieux dans le respect des besoins fondamentaux et des capacités cognitives des enfants et des jeunes.

Il est parfaitement légitime de s’interroger sur l’impact qu’aura l’utilisation de l’IA sur les adolescents et les jeunes notamment, dans le processus des apprentissages scolaires. On peut également craindre des effets délétères sur la construction de leur mode de pensée, sur le développement de leur sens critique et finalement, sur leur libre arbitre.

A partir de quel âge est-il envisageable de l’inclure dans les pratiques d’enseignement ? On sait que des écoles « pilotes » mènent, d’ores et déjà, des expériences de ce type dès les premiers apprentissages, au CP (cycle 2 – école élémentaire). Nous parlons de très jeunes enfants (6/7 ans) qui abordent tout juste les apprentissages fondamentaux : lire, écrire et compter, pour lesquels le modèle humain tenu par le professeur, qui leur transmet la connaissance, est fondamental et doit l’aider dans ce passage difficile, mais si motivant et porteur d’éveil, de croissance et d’émancipation !

Le futur de l’éducation et du savoir est une question cruciale, l’IA redéfinit-elle notre manière d’apprendre ? Apprendre à penser ou penser à apprendre : quel avenir pour l’éducation dans un monde où l’intelligence artificielle (IA) répond à toutes nos questions ?

https://www.youtube.com/watch?v=tOy12DMC_yA (Vidéo de 15:51)

L’intelligence de l’enfant et… l’IA.

 Il faut se demander comment l’IA va influencer la construction mentale des enfants ainsi que leur représentation du monde et en évaluer les risques et les conséquences. Quelle place sera donnée à l’intelligence humaine, et surtout quelle valeur ? Sans parler de la place de l’intelligence du cœur, ou du développement de l’imaginaire, capital pour leurs capacités créatives futures !…

Idriss Aberkane aborde l’arrivée de l’IA dans l’éducation et replace ce nouveau phénomène dans une plus large perspective historique, scientifique, sociétale et philosophique. Page 37 du dossier.

« Un de ses propos centraux est que l’Intelligence Artificielle va marquer la mort d’ « Homo academicus », et a le potentiel d’orienter l’Humanité vers une nouvelle tradition éducative, qui est davantage celle de Diogène et de Lao Tseu que celle de Platon et Confucius »

https://www.youtube.com/watch?v=QaDilpBgqFk&t=4s (Vidéo 2:20:18)

Il conclut en invitant l’être humain à développer et inclure la spiritualité dans sa vie, seule issue qui lui garantit un futur !

A contrario, les propos de Gabriel MAES, responsable pédagogique du diplôme universitaire « Usages du numérique en éducation » peuvent inquiéter.  Le magazine Innovation en Education n°18 introduit l’article qui lui est consacré comme suit : Structurer la pensée à la manière d’un ordinateur pour résoudre les problèmes complexes, voilà l’ambition de la pensée computationnelle, ensemble de compétences mêlant décomposition, reconnaissance de modèles, abstraction, débogage et algorithmique. Comment l’inculquer aux enfants dès le plus jeune âge, via des activités ludiques ? Faut-il revoir nos méthodes d’évaluation et d’enseignement pour favoriser son adoption ? 

On en vient à redouter de voir s’installer progressivement des telles pratiques « pédagogiques » dans nos écoles qui finiraient par transformer les élèves en petits robots bien-pensants, sous couvert d’adaptation au « progrès » qu’apporterait l’IA… Une autre alternative découlerait alors, celle de « l’homme augmenté », pour lequel un implant cérébral serait la seule solution, face à l’IA, autrement dit, le transhumanisme…

Il est vraiment urgent de se questionner sur les effets qu’aura l’IA sur les jeunes dont l’attention est déjà littéralement captée par une surconsommation d’écrans, au point de parler d’addiction. La baisse de leurs capacités d’attention et de réflexion est malheureusement démontrée depuis des années, sans parler des effets négatifs sur leur vie sociale et relationnelle.

Pour rappel, Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, a depuis longtemps, alerté sur les dangers des écrans pour les jeunes générations.

Il a consacré un ouvrage fondamental sur cette question, intitulé « La Fabrique du Crétin Digital » éd. Seuil.

https://www.youtube.com/watch?v=pXdyakAsGkk (Vidéo de 39:33)

En conclusion…

L’IA vient percuter de plein fouet l’Institution autant que la Société et elle pose avec acuité la question du Pourquoi éduquer ?  Le glissement de sens d’instruction vers éducation n’aura probablement pas échappé aux parents les plus attentifs…

Il devient de plus en plus crucial de veiller à donner aux enfants la chance de se construire « une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine » comme le préconisait déjà Montaigne en son temps,.

Il convient donc de se demander comment préserver les jeunes afin qu’ils développent plus que jamais leur sens critique et qu’ils déploient avec confiance leur créativité illimitée, dégagée de toute emprise artificielle et hyper technologique sur leurs facultés individuelles et originales.

On peut évidemment craindre une forme de standardisation intellectuelle délétère tant pour l’individu que pour la société.

Si l’IA peut être utilisée avec éthique et clairvoyance, il n’en demeure pas moins qu’un tel outil ne doit être introduit qu’avec sagesse et maîtrise, à un âge où les étudiants sont en capacité d’en user avec raison, ce qui ne saurait être le cas des enfants de l’école élémentaire.

En revanche, il peut s’avérer judicieux de prévenir les plus jeunes des pièges que représentent les écrans en général, et l’IA en particulier, pour leur développement, leur équilibre et leur liberté d’être, de penser, de créer.

Vous l’aurez compris, cette introduction de l’IA dans le cursus scolaire demande un profond travail de réflexion préalable, car cela aura des répercussions, tant sur ces jeunes êtres en devenir que sur la société future qu’ils construiront.

L’humain aura-t-il encore la primauté sur la machine ou aura-t-il tellement délégué ses prérogatives (par facilité, fascination ou paresse) qu’il sera relégué à une place subalterne, amputé de ses capacités créatives d’être doué d’un esprit ?

 Les parents ont actuellement un choix à faire, celui de préserver le potentiel unique de leur enfant en résistant aux sirènes du progrès et de la modernité pour favoriser le bon sens, l’équilibre et la vie qu’apportent l’humain, la nature et le spirituel quand ils se conjuguent au quotidien.

Mai 2025.

Laissons plus que jamais les enfants accéder à l’imaginaire,

à la nature, au vivant !

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